Préserver le prix unique du livre
Les bienfaits du prix unique du livre ne sont plus à démontrer. Il est néanmoins toujours nécessaire d’en rappeler l’impact sur l’organisation de la filière du livre, de le préserver, le renforcer et veiller à son application pour en prolonger les effets vertueux dans les décennies à venir.
Rappeler continuellement l'importance de la loi Lang mais aussi veiller à son maintien font partie des missions principales du SLF. Le syndicat s'engage chaque jour en travaillant étroitement avec les autres acteurs du livre et les pouvoirs publics, avec le médiateur du livre notamment, pour que cette loi précieuse pour l'ensemble de la filière soit préservée et renforcée.
Qu'est-ce que le prix unique du livre ?
"Toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer, pour les livres qu'elle édite ou importe, un prix de vente au public" (article 1er de la loi du 10 août 1981 dite "loi Lang").
En France, la loi relative au prix unique du livre est un des piliers de la politique du livre.
Ce dispositif de grande ampleur poursuit trois objectifs :
- l’égalité des citoyens devant le livre ;
- le maintien d’un réseau décentralisé très dense de distribution, notamment dans les zones défavorisées ;
- le soutien au pluralisme dans la création et l’édition.
Le livre est un bien culturel et non pas un produit de consommation comme les autres qui ne saurait être soumis aux seules exigences de rentabilité immédiate. C’est parce qu’il est bien plus que cela qu’il ne peut être soumis aux mêmes lois que les autres produits. En évitant une bataille déséquilibrée sur les prix entre les différents circuits de vente du livre, le prix unique a permis au réseau des librairies de se maintenir, de se moderniser et de préserver une véritable diversité culturelle.
Aujourd'hui, l’essor des ventes en ligne et, tout particulièrement, le développement et les pratiques du site Amazon et de sa « market place », mettent à l’épreuve le prix unique du livre et montrent combien il devient difficile de défendre son application.
Rappeler continuellement l'importance de la loi Lang mais aussi veiller à son maintien font partie des missions principales du SLF. Il s'engage chaque jour en travaillant étroitement avec les autres acteurs du livre et les pouvoirs publics, avec le médiateur du livre notamment, pour que cette loi précieuse pour l'ensemble de la filière soit préservée et renforcée.
Le prix unique existait dans plusieurs pays bien avant 1981 et son instauration en France. En Suisse ou au Danemark, son application remonte au 19e siècle. La France fut néanmoins la première à appliquer le prix unique du livre par le biais d’une loi et non d’un accord interprofessionnel entre éditeurs et libraires. Depuis, plusieurs pays, dont l’Allemagne, ont mis fin à leur régime contractuel afin d’adopter une législation proche de celle qui s’applique dans notre pays.
En France, jusqu’aux années 90, c’est le « prix conseillé » qui prévaut. Dans ce cadre, l’éditeur établit un prix de vente au public que les libraires respectent « de fait » sans qu’aucune loi ne les y oblige. Ce système avait pratiquement les mêmes effets qu’un régime de prix fixe. L’ouverture des premières FNAC, qui proposent aux clients des rabais pouvant aller jusqu’à 20%, et la création de rayons livre dans les supermarchés Leclerc avec des rabais jusqu’à 40%, bousculent cet équilibre. A l’issue d’une concertation interprofessionnelle, les pouvoirs publics optent pour le « prix net » (arrêté Monory). Toute référence à un prix de vente au public est proscrite et tout détaillant devient libre de sa politique de prix.
Le marché du livre fut fortement déstabilisé par le régime de « prix net » et les professionnels prirent conscience que le « discount » risquait de conduire à une concentration des ventes dans la grande distribution et à la disparition de nombreuses librairies dans l’incapacité de résister à une telle « guerre des prix ». Cette concentration des ventes ne manquerait pas d’avoir des effets négatifs sur la création elle-même, la grande distribution favorisant la vente de titres à rotation rapide au détriment des titres à rotation lente.
Ces constats favorisèrent la mobilisation des professionnels en faveur du prix unique du livre. Ainsi, Jérôme Lindon, PDG des éditions de Minuit, créa-t-il, en 1977, l’Association pour le prix unique afin de réunir éditeurs et libraires et de convaincre les responsables politiques. Cette mobilisation aboutira à l’inscription dans le programme de deux des principaux candidats à l’élection présidentielle de 1981, François Mitterrand et Jacques Chirac, d’une proposition visant à appliquer un prix unique pour le livre puis, quelques mois plus tard, au vote de la loi par le Parlement, à l’unanimité.
Dès l’origine, le prix unique du livre est présenté comme “un régime dérogatoire fondé sur le refus de considérer le livre comme un produit marchand banalisé et sur la volonté d’infléchir les mécanismes du marché pour assurer la prise en compte de sa nature de bien culturel qui ne saurait être soumis aux seules exigences de rentabilité immédiate”.
L’objectif du prix unique est avant tout culturel : il s’agit de maintenir la richesse et la diversité de la création littéraire. Il est également économique dans la mesure où la diffusion de cette création nécessite un réseau aussi dense que possible de librairies de qualité.
Les éditeurs doivent en effet pouvoir prendre des risques sur des auteurs, particulièrement ceux qui ne sont pas encore confirmés ou dont l’audience n’est pas proportionnelle à la dimension culturelle ou intellectuelle de leur œuvre. La défense de ces auteurs est un engagement sur le long terme : l’éditeur accompagne la construction d’une œuvre en acceptant d’attendre plusieurs années avant qu’un auteur n’acquière une notoriété satisfaisante et en maintenant disponibles dans son catalogue leurs premiers titres (livres de fonds).
La nécessité du temps long explique pourquoi une politique éditoriale n’est pas compatible avec des exigences de rentabilité immédiate. L’éditeur recherche un équilibre économique global où les gains tirés des meilleures ventes financent les titres de qualité dont la rentabilité n’est pas immédiate. Le prix unique du livre permet cet équilibre (péréquation).
Pour défendre les nouveautés mais également les ouvrages de fonds sur le long terme et permettre au plus large public d’y accéder aisément, le maintien d’un important réseau de librairies est une nécessité.
Le libraire lui-même doit assurer un équilibre (péréquation) entre des livres à rotation rapide (best-sellers) et des livres à rotation lente qui ont besoin de temps pour trouver leur public. Si le prix unique du livre n’existait pas, les prix des best-sellers seraient bradés par les circuits de la grande distribution. Les librairies ne pourraient ni suivre cette surenchère sur les rabais, pour des raisons financières, ni maintenir des prix plus élevés, pour des raisons commerciales. Leur équilibre économique serait radicalement remis en cause. Le prix unique permet de remplir les deux exigences fondamentales de l’économie du livre : la péréquation entre les best-sellers et les livres à rotation lente ainsi que la diffusion la plus large possible.
Le prix unique signifie que le même livre sera vendu au même prix par tous les détaillants, quels que soient le lieu et la période de l’année, à concurrence du rabais légal de 5 %, généralement offert aux détenteurs d’une carte de fidélité.
Plusieurs dérogations au prix unique, ou adaptations, sont prévues par la loi :
- Un certain nombre de collectivités (bibliothèques, établissements d’enseignement, de formation ou de recherche, collectivités territoriales, l’État, syndicats, comités d’entreprise) peut bénéficier d’un rabais supérieur sur le prix public de vente (maximum de 9 % depuis la loi du 18 juin 2003).
- Le prix de vente des livres scolaires aux établissements d’enseignement, aux collectivités territoriales, à l’État ou aux associations de parents d’élèves déroge aux dispositions de cette loi. Les détaillants peuvent donc vendre des livres scolaires à ces collectivités sans limitation de rabais.
- Passé un délai de neuf mois à compter de la date de la première publication, le prix de vente d’une publication par courtage, abonnement ou correspondance (clubs de livres) peut être inférieur à celui de la première édition.
- Les détaillants peuvent fixer librement le prix des livres publiés depuis plus de deux ans et dont le dernier approvisionnement (dernière commande) remonte à plus de six mois.
Des modalités d’application particulières sont prévues pour les départements d’outre-mer afin que les libraires puissent répercuter sur les prix de vente les charges supplémentaires qui leur incombent dont des frais de transport élevés.
L’éditeur fixe librement le prix de vente au public des livres qu’il publie. Celui-ci doit être respecté par l’ensemble des détaillants : librairies, maisons de la presse, grandes surfaces multimédias, super et hypermarchés, sites de vente en ligne, éditeurs dans le cas de ventes directes au public. Le prix fixé par l’éditeur doit être inscrit sur le livre. L’éditeur reste libre de modifier à tout moment le prix public d’un livre, à condition d’informer au préalable l’ensemble des circuits de vente. Cette disposition permet à l’éditeur de baisser le prix d’un ouvrage en vue d’en relancer la vente et d’écouler plus rapidement un stock qu’il juge trop important. Le nouveau prix fixé par l’éditeur continue de devoir être respecté par l’ensemble des détaillants.
Le législateur a par ailleurs tenu à valoriser dans cette loi les « services rendus par les détaillants » en indiquant notamment que “tout détaillant doit offrir le service gratuit de commande à l’unité”. Dans chaque librairie, un client peut donc commander l’un des 800 000 titres disponibles en France.
Dans le même esprit, l’article 2 stipule que les éditeurs doivent intégrer dans leurs conditions de vente “la qualité des services rendus par les détaillants”. Cette remise « qualitative » doit être supérieure à la remise « quantitative » résultant de l’importance des quantités acquises par les détaillants (chiffre d’affaires).
Les critères constitutifs de la remise qualitative sont négociés contractuellement entre les éditeurs et les libraires sur la base des conditions générales de vente et dans le cadre du “protocole d’accord sur les usages commerciaux”, dont la dernière mise à jour remonte à 2008.
La prise en compte du travail « qualitatif » des détaillants, particulièrement des libraires, vise à reconnaître financièrement, à travers une meilleure remise commerciale, les charges engagées par eux afin de promouvoir le livre auprès des lecteurs (attractivité de leur lieu de vente, diversité et pertinence de leur assortiment, qualité de l’accueil et du conseil, animations autour du livre et des auteurs…).
Ce sujet fait, depuis l’origine, l’objet de vifs débats entre la librairie et l’édition, la première considérant que les conditions commerciales ne leur sont pas assez favorables alors que leurs actions « qualitatives » sont plus développées que dans la grande distribution ou sur internet.
Rappelons ici que la faible rentabilité des librairies est en large partie imputable aux sommes qu’elles investissent dans leur personnel, la diversité de leur assortiment ou leur emplacement au cœur des villes.
En évitant une bataille déséquilibrée sur les prix entre les différents circuits de vente du livre, le prix unique a permis au réseau des librairies de se maintenir et de se moderniser.
Sur environ 25 000 points de vente du livre, on dénombre 3 500 librairies dont la vente de livres constitue l’activité principale. Le réseau des librairies demeure le premier circuit de vente en France. Il représente près de 40 % de la vente au détail et beaucoup plus dans certains secteurs, comme les sciences humaines ou les nouveautés littéraires.
Ce réseau de librairies a porté et continue de porter l’essentiel de la création littéraire française et des livres de référence que les éditeurs peuvent ainsi maintenir durant de longues années dans leur catalogue. La vitalité et le renouvellement de l’édition de création sont étroitement liés au maintien de ce réseau de librairies de centre-ville.
Le marché du livre est le plus stable de tous les secteurs culturels. L’offre éditoriale n’a jamais été aussi riche : environ 750 000 titres sont disponibles, 70 000 nouveautés paraissent chaque année, et il ne s’est jamais vendu autant de livres. Contrairement à ce que certains prédisaient à l’origine, la loi n’a pas eu d’effet inflationniste. Au contraire, depuis plus de deux décennies, l’indice du prix du livre a évolué deux fois moins vite que l’indice général des prix, d’où une baisse relative des prix des livres qui n’est pas sans poser de difficultés aux libraires comme aux autres acteurs de la chaîne du livre, l’assiette sur laquelle repose leur rémunération diminuant chaque année.
Par ailleurs, si elle a pu être présentée comme une dérogation aux règles ordinaires de la concurrence, la législation de 1981 s’est révélée être, au contraire, une vraie loi de concurrence puisqu’elle a permis de maintenir une multiplicité et une variété d’acteurs aussi bien au niveau de l’édition, où cohabitent quelques groupes grands ou moyens mais également des milliers d’éditeurs indépendants, qu’au niveau des circuits de commercialisation (librairies, maisons de la presse, grandes surfaces culturelles comme Fnac, Espaces culturels Leclerc ou Cultura, hyper et supermarchés, Internet…). La concurrence n’est pas absente mais elle s’exerce entre éditeurs ou porte sur la qualité des services proposés par chaque détaillant.
L’essor des ventes en ligne et, tout particulièrement, le développement du site Amazon et de sa « market place », mettent à l’épreuve le prix unique du livre sans en contredire les objectifs, bien au contraire. Après avoir, en 2008, tenté, en vain, de déstabiliser la loi de 1981 en poussant des amendements parlementaires visant à libéraliser les soldes de livres, Amazon mise sur une dilution de la perception du prix unique sur sa plate-forme en mélangeant les offres de livres neufs et de livres d’occasion ou encore en affichant de faux rabais entre différentes catégories de livres (le prix du livre numérique pouvant par exemple être présenté comme résultant d’un rabais sur le prix du livre papier). Ces pratiques ont montré combien il devenait difficile de défendre l’application du prix unique du livre, y compris devant la justice. Cette responsabilité qui incombait historiquement au syndicat des libraires a été transférée à un médiateur du livre, instance indépendante créée par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. Le médiateur du livre veille à la bonne application des lois de 1981 et de 2011 sur le prix unique du livre en favorisant des conciliations entre les parties. Il peut également saisir les juridictions compétentes, particulièrement en cas d’échec d’une conciliation.
Si le bilan du prix unique du livre est très positif, comme l’a rappelé en 2009, le « Rapport sur l’économie du livre et son avenir » piloté par l’ancien ministre de l’Economie Hervé Gaymard, on ne peut toutefois négliger certaines tensions au sein de la chaîne du livre. Le prix unique du livre confère en effet aux éditeurs une responsabilité centrale. En fixant le prix de vente au public, ceux-ci déterminent à la fois le prix d’achat par le lecteur et les revenus des autres acteurs de la « chaîne » du livre, de l’auteur au libraire. Le prix unique appelle donc, de la part des éditeurs, une pratique consciente et élevée de la solidarité interprofessionnelle afin de contrebalancer la dépendance des autres professions du livre à leur égard. Cet esprit de responsabilité et de solidarité, inhérent au prix unique du livre, s’est aujourd’hui délité, soit parce que certains groupes d’édition profitent de leur situation dominante sur le marché, soit parce que d’autres ont perdu de vue les exigences qui accompagnent l’application du prix unique du livre.
Aujourd’hui, auteurs comme libraires dénoncent la détérioration de leur situation économique et, tout en soutenant indéfectiblement le principe du prix unique du livre, font un double constat : en premier lieu, la « chaîne » du livre ne dégage plus assez de valeur pour rémunérer convenablement l’ensemble de ses acteurs ; en second lieu, cette valeur est mal répartie entre une poignée de groupes rentables et une large partie des auteurs, des libraires et éditeurs indépendants précarisés. Remédier à cette situation est sans doute aujourd’hui la meilleure façon de conforter le prix unique du livre et d’en prolonger les effets vertueux dans les décennies à venir.
Faire connaitre ou rappeler l'existence du prix unique du livre
Selon une enquête réalisée fin 2020 par l'institut d'études Odoxa pour le Syndicat national de l'édition (SNE), 53% des Français ne savent pas qu’il y a un prix unique du livre.
Cela fait plus de quarante ans que le prix des livres -fixé par l’éditeur- est imprimé sur la 4ème de couverture. Ce prix unique, instauré par la loi Lang du 10 août 1981 avait pour but de protéger la filière et développer la lecture. Quatre décennies plus tard, beaucoup de Français ignorent encore l’existence de cette loi.
Ainsi, une majorité de Français pensent que le prix d’un livre varie selon les régions, la période de l’année, la conjoncture économique et les détaillants quand 45% répondent qu’il est le même partout. Même 52% des grands lecteurs se trompent.
Face à ce constat, le SLF réalise des campagnes de communication d'envergure pour rappeler aux lecteurs que le prix du livre est le même partout et pour les inviter à faire leurs achats en librairie indépendante. L'objectif est de les sensibiliser sur l’expérience dont ils bénéficieront en se rendant dans leur librairie de quartier et sur les conséquences vertueuses de cette pratique d’achat (circuits courts, lien social, dynamisme des territoires etc.).